L’abbaye Saint-Ruf, à Avignon

Ruines de l'abbaye Saint-Ruf. Avignon. Photo Serge Panarotto.
Abbaye Saint-Ruf. Avignon.

Il y a tant d’églises et de monuments exceptionnels à Avignon qu’on néglige souvent d’aller voir les restes remarquables de l’ancienne abbaye Saint-Ruf. Elle fut fondée en 1039 par quatre chanoines du chapitre d’Avignon qui créèrent un ordre religieux placé sous la règle de saint Augustin. L’Ordre de Saint-Ruf connut un succès rapide et se répandit dans toute la Chrétienté. Son influence fut considérable mais reste peu connue et peu étudiée. Il lui est attribué environ cinq cents prieurés en Provence, en Languedoc, en Espagne, en Italie du nord et en Palestine. À la suite de mésententes avec le chapitre d’Avignon, en 1158, le siège de l’Ordre fut transféré à Valence (sur le Rhône) mais Avignon continua à vivre comme prieuré.

Ruines de l'abbaye Saint-Ruf. Avignon. Photo Serge Panarotto.
Abbaye Saint-Ruf. Abside et clocher. Avignon.

Saint Ruf

De saint Ruf, la personne, on ne sait quasiment rien, sinon ce qu’en ont retenu la tradition ecclésiastique avignonnaise et sa légende hagiographique. Selon cette légende, probablement tissée par les gens de son Ordre, Ruf (Rufus) aurait été le fils de Simon de Cyrène, celui qui, dans le Nouveau Testament, aida le Christ à porter sa croix. Ce fils, mentionné dans l’évangile de Marc, devenu chrétien, serait parvenu en Provence sur la barque des saintes Maries (un de plus !) et aurait fondé une communauté chrétienne au sud de la ville romaine.

Selon la tradition, Ruf aurait été, au IIIe siècle, le premier évêque d’Avignon et il est, de nos jours encore, un des saints patrons de la ville.

Ce qui est certain, c’est qu’il existait, à cet endroit, au Xe siècle, une église Saint-Ruf (attestée par un document en 917) sise sur l’emplacement d’un ancien cimetière. En 1975, des fouilles archéologiques ont confirmé qu’il existait bien là une nécropole antique qui se trouvait près de la via Aurélia, l’ancienne voie romaine qui, à partir d’Arles, remontait la vallée du Rhône. Des sarcophages remontant au moins au Ve siècle y ont été découverts.

Il est donc probable que Ruf ait été le chef – le pasteur – de la première communauté chrétienne locale, à la fin du IIIe siècle ou au début du IVe, qu’il ait été enterré sur place et qu’un culte se soit développé autour de sa tombe, comme cela a été fréquemment le cas pour les premiers martyrs et les premiers missionnaires. C’est donc une terre déjà consacrée que l’évêque Benoît, en 1039, donna à ses chanoines pour qu’ils y vivent selon les préceptes de saint Augustin et qu’ils y créent leur monastère qui se transforma ensuite en un ordre religieux.

Abbaye de Saint-Ruf. Avignon.Le chevet. Abside et absidioles. Photo Serge Panarotto.
Abbaye de Saint-Ruf. Avignon.Le chevet.

L’ordre de Saint-Ruf

L’Ordre des chanoines réguliers de Saint-Ruf fut approuvé par le pape Urbain II en 1095. Cette nouvelle congrégation fut une des manifestations de la réforme grégorienne, mouvement spirituel et sociétal visant à restaurer dans l’Église une meilleure tenue spirituelle et morale. Commencée dans le domaine monacal à l’abbaye de Cluny la réforme se poursuivit avec la création des ordres cisterciens, cartusiens et de quelques autres ; elle se propageât ensuite dans l’Église séculière (évêchés, paroisses…). Au retour à une application plus stricte à la règle de saint Benoît dans les monastères cloîtrés fait échos, dans les chapitres (entourage de l’évêque), pour certains chanoines, la volonté de vivre en communautés selon les préceptes de saint Augustin. De là vint le succès de l’Ordre de Saint-Ruf. Cet Ordre a fourni deux papes à la chrétienté : Anastase IV (1153-1154) et Adrien IV (1154-1159). La Croisade des Albigeois, qui ravagea le sud de la France entre 1208 et 1244, entraîna en partie la ruine de l’Ordre qui, après une longue décadence, fut finalement sécularisée, en 1485, par le Pape Jules II.

Abbaye Saint-Ruf. Avignon. Dessin du XIXe siècle.
Dessin de l’abbaye Saint-Ruf au XIXe siècle.

Le monastère Saint-Ruf d’Avignon

Au plus fort de la vague romane, à la fin du XIIe siècle, l’église abbatiale fut reconstruite. Ce sont les restes encore beaux de cette architecture majestueuse que nous pouvons admirer aujourd’hui. Au XIVe siècle, période de grands troubles, elle fut fortifiée comme le montrent les créneaux et les archères encore visibles dans le transept. Au XVIe siècle, le prieuré Saint-Ruf d’Avignon subit de graves dégâts lors des guerres de religion. Restaurés en 1628, les bâtiments furent définitivement abandonnés à la fin du siècle. En 1763, la nef, qui comportait trois travées menaçant ruines, fut abattue. Lors de la Révolution, en 1796, l’ensemble est vendu comme Bien national. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, récupérés par la mairie d’Avignon, les bâtiments restant sont affectés au service de nettoiement de la ville qui y installe une usine de traitement des boues de vidange. C’est son classement comme Monument historique dès 1889, qui sauva Saint-Ruf.

Abbaye Saint-Ruf. Avignon. L'abside percée de trois baies. Photo Serge Panarotto.
Abbaye Saint-Ruf. Avignon. L’abside.

Aujourd’hui, il ne reste que le clocher, massive tour carrée montée au-dessus du croisillon méridional du transept, le croisillon nord, fortifié au XIVe siècle, et une très belle et vaste abside flanquée de deux absidioles. L’abside, voûtée en cul-de-four, éclairée par trois baies en plein-cintre, est hémisphérique à l’intérieur et pentagonale côté chevet. Quelques décors, chapiteaux et pilastres, sont d’une très grande finesse et témoignent de l’influence de l’architecture romaine sur l’art roman provençal. En 2017, de nouvelles fouilles archéologiques ont permis de situer l’emplacement du cloître et d’une partie des bâtiments disparus, enfouis désormais sous la surface du parc qui entoure les beaux restes de cette abbaye qui, au Moyen Âge, brillât d’un vif éclat durant deux siècles, avant de connaître un long, très long, crépuscule.

Abbaye Saint-Ruf. Avignon (Vaucluse). Boulevard Roux Renard / avenue de la Cabrière, au sud d’Avignon.

Photos : Serge Panarotto. Documents : bibliothèque du Palais du Roure. Avignon.

À vhttps://provenceavivre.wordpress.com/2013/11/10/les-3-soeurs-provencales/oir également : Les 3 sœurs provençales

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