Les Rameaux en Provence

Des traditions particulières, malheureusement en train de disparaître, accompagnaient la fête des Rameaux en Provence.

Les Rameaux se fêtent le dimanche qui précède le dimanche de Pâques. Ils célèbrent l’entrée de Jésus dans Jérusalem. Le Christ fut acclamé par une foule qui agitait des palmes et avait répandu des rameaux de verdure sur son chemin. Pour les catholiques, cet événement marque le début de la Semaine Sainte, semaine durant laquelle le Christ pris son dernier repas avec ses apôtres (la Cène, le jeudi), fut trahi, arrêté, jugé, crucifié et mis au tombeau (le vendredi), puis ressuscita (le dimanche) ; c’est cette résurrection que célèbre la Pâques chrétienne.

Les rameaux bénits

Les Rameaux à Saint-Victor (Marseille).

Devant l’abbaye fortifiée de Saint-Victor, qui domine le Vieux-Port de Marseille, les palmes portées par le clergé et les rameaux d’oliviers brandis par les fidèles sont bénits face à la mer.

En Provence, les rameaux sont principalement des branchettes d’olivier, de laurier ou de buis (selon les localités), quelques fois des palmes (sur la côte), bénits par le prêtre lors de la messe dominicale. Les croyants les plaçaient avec un crucifix à la tête de leur lit. La croyance populaire attribuait à ces feuillages provenant d’arbres qui, notons-le, ne perdent jamais leurs feuilles, des vertus protectrices. Conservés avec soin, les rameaux bénits garantissaient les gens et le bêtes de la maison de la maladie, des accidents… et des envoûtements. Les Rameaux étaient particulièrement réputés pour préserver la maison de la foudre.

Ex-voto dédié à Notre-Dame-de-Grâce, église Sainte-Agathe,à Maillane.

Ex-voto de 1854, dédié à Notre-Dame-de-Grâce, à Maillane.

Ex-voto dédié à Notre-Dame-de-Grâce, église Sainte-Agathe, à Maillane. Détail : le rameau au-dessus du lit.

Ex-voto dédié à Notre-Dame-de-Grâce, à Maillane. Détail : le rameau au-dessus du lit.

Si, par malheur, un décès survenait dans la famille, le Rameau était trempé dans de l’eau bénite, puis placé sur le cercueil du défunt. On devine sous cette coutume une promesse de renaissance (l’eau, la végétation…).

Le Mercredi des Cendres, jour d’entrée du Carême, 40 jours de jeune avant la nouvelle Pâques, on brûlait les rameaux de l’année écoulée. Pour les catholiques pratiquants, ce sont ces cendres qui servaient pour la cérémonie religieuse où le prêtre fait sur le front du fidèle une croix de cendres pour rappeler ainsi aux hommes « qu’ils sont poussière et retourneront poussière« .

Devant l’abbaye fortifiée de Saint-Victor, qui domine le Vieux-Port de Marseille, les palmes portées par le clergé et les rameaux d’oliviers brandis par les fidèles sont bénits face à la mer.

Mais, en Provence, les Rameaux n’étaient pas qu’une cérémonie religieuse, ils avaient aussi la particularité d’être une fête pour les enfants qui recevaient ce jour-là, un « rameau » chargé de friandises.

Le rameau perdu des enfants

Rameaux des enfants chargés de sucreries (de nos jours).

Rameaux des enfants chargés de sucreries (de nos jours).

Ce rameau est un joli petit bâton de bois léger enguirlandé de papier doré, simulant une branche d’arbre avec des feuilles artificielles. Il porte régulièrement, à son extrémité supérieure, une grosse orange confite, et présente çà et là, attachées autour de ses branchettes, maintes friandises qui pendent comme des fruits sur un arbre naturel.” Voilà comment Béranger-Féraud, dans Traditions de Provence, paru en 1885, présente le rameau qui était offert aux enfants par leurs parrains, lors de la fête des Rameaux. À la campagne et dans les familles pauvres, le rameau était plus modeste : une simple branchette d’olivier ou de laurier, à laquelle étaient suspendus un fruit ou un gâteau sec en forme de colombe ou de marmouset (petit homme) qu’en Provence on appelle coulomb ou estevenoun.

Rameaux garnis des enfants d'autrefois.

Les Rameaux garnis d’autrefois.

Ce rameau, garni de sucreries, de biscuits et de menus jouets, était bénit par le prêtre en même temps que les rameaux d’olivier présentés par les adultes. Ce n’est qu’après la messe que les enfants pouvaient croquer ces friandises.

Cette tradition était était particulièrement bien implantée à Marseille, Arles et Toulon. Des érudits du XIXe siècle y ont vu une réminiscence d’anciens cultes solaires antiques importés en Provence par les Phocéens de Marseille et maintenus par la conquête romaine. Le rameau aurait symbolisé la renaissance de la nature et l’orange confite le soleil. Assimilée aux rameaux chrétiens, cette pratique, tolérée par l’Église, aurait ensuite régressé vers la sphère enfantine.

Aujourd’hui, la coutume du rameau gourmand se perd. Elle ne survit que dans quelques rares familles. En 1585, lors d’un concile tenu à Aix-en-Provence, l’Église avait une première fois interdit cette tradition. Mais, cette condamnation fut sans effet, puisque le rameau des enfants est resté une véritable institution provençale jusqu’à la première moitié du XXe siècle. Il semble que ce soit une nouvelle interdiction de la bénédiction de ces rameaux profanes par les autorités ecclésiastiques, à la fin des années 1950, qui ait précipité la fin de cette savoureuse tradition. Les rameaux des enfants d’aujourd’hui se sont enrichis de plumes, de chocolats et de babioles, mais ils sont de plus en plus difficiles à trouver et nos enfants, « gâtés-pourris » de friandises et de jouets, non seulement à Noël mais toute l’année, sont désormais inaccessibles à l’émerveillement qui faisait briller les yeux des enfants d’autrefois, quand ces cadeaux étaient exceptionnels et rares.

Les pois chiches des Rameaux

Salade pois chiches et oignons frais.

Salade de pois chiches.

En Provence, autre tradition des Rameaux, il fallait, ce jour-là, au repas de midi, manger un plat de pois-chiches. Un dicton, souvent répété, en atteste : « Es bèn pauvre l’oustau, que noun manjo de cese pèr Rampau » (Est bien pauvre la maison qui ne mange pas de pois chiches pour les Rameaux).

L’explication de cette coutume, la plus répandue, nous conte qu’en un temps où Marseille connaissait une disette, un navire chargé d’une cargaison de pois chiches serait arrivé dans le port le jour des Rameaux ; c’est pour commémorer cet événement qui sauva la ville de la famine que les Marseillais auraient institué l’usage d’en manger ce jour-là. Cette explication très locale est peu satisfaisante, car cette coutume est répandue dans toute la Provence.

Une explication, plus « biblique », qui était destinée surtout aux enfants, donnait pour raison, que l’âne sur lequel était monté Jésus s’était arrêté dans un champs de pois chiches pour en déguster, avant de rentrer dans Jérusalem. Une autre explication, toute aussi « biblique », destinée elle aux adultes, qu’on n’ose plus citer aujourd’hui car politiquement incorrecte, prétendait que le Christ, au mont des Oliviers, aurait demandé à un Juif une poignée de pois chiches et que celui-ci le lui aurait refusé. Naturellement, ces allégations ne figurent pas dans les évangiles canoniques.

Une superstition, très répandue, voulait aussi qu’en mangeant des pois chiches le jour des Rameaux, l’on soit préservé des furoncles toute l’année.

[Recette de la salade de pois chiches]

Échaudé et estevenoun

Échaudé ou "brassado", en Provence.

Brassado (échaudé).

Dans certaines familles, il était aussi de coutume de faire des échaudés. L’échaudé, qu’en Provence on appelle « brassado » car il prend souvent la forme d’un anneau, est un biscuit très ancien dont la particularité est que la pâte est d’abord plongée dans de l’eau bouillante (ou du lait) avant d’être ensuite passée au four. Nous avons vu qu’on en accrochait aux rameaux des enfants avec d’autres biscuits qu’on appelle « estevenoun ».

Estevenoun veut dire « pain de saint Etienne (Estève en provençal) ». Ce sont des biscuits secs, représentant une colombe du Saint-Esprit, un coq ou un marmouset (petit homme) que les parrains offraient à leur filleul le lendemain de Noël, pour la Saint-Étienne. On les appelle aussi coulomb car ils ont souvent la forme d’une colombe. Les formes anthropomorphes (marmousets) sont plus rares car l’Église les a souvent prohibées, y voyant une survivance du paganisme. Estevenoun désigne plus largement un biscuit à caractère religieux car il s’en fait aussi lors d’un roumevage (pèlerinage) à une chapelle du terroir, lors d’une fête votive ou pour la fête d’un saint. Mais je vous parlerait de cela une autre fois.

[Recette de l’échaudé]